Ma rencontre avec le Yoga a commencé dès mon plus jeune âge. Nous habitions avec ma famille le quartier de Darya Ganj, qui se trouve aux portes du vieux Delhi. Non loin de notre maison, à la jonction de trois ruelles étroites, s’élevait un temple consacré à Shiva. Des fondations de ce temple surgissait un arbre de Peepal, le figuier sacré, habité par une colonie de singes.
A l’aube de chaque matin, un prêtre vêtu d’un simple dhoti blanc officiait à l’intérieur du temple. Ayant achevé les puja, il sonnait la cloche, sortait dans la rue, et commençait lentement et méthodiquement une série d’asanas, avant d’entrer en méditation. Je l’observais depuis mon balcon. Un rayonnement de paix et de force se dégageait de tout son être. Le silence se faisait autour de lui, et les singes si bruyants à leur habitude arrêtaient leur vacarme et formaient un cercle autour de lui pour l’observer avec la plus grande curiosité.
Ce prêtre m’a énormément marqué. Je découvrais en le contemplant les voies d’un univers mystérieux qui m’attirait irrésistiblement vers lui. Et puis un jour, il ne me fut plus suffisant de le regarder. J’ai voulu comprendre. Il devint mon premier maitre. Il m’a enseigné les fondamentaux du yoga. Il fut mon guide dans l’apprentissage de cette science qui ouvrent les portes de la connaissance de soi.
Je me souviens de notre première rencontre. Il me traitât sans ménagement : « avant de commencer tout apprentissage, il va falloir te débarrasser de tes préjugés. Faute de quoi, tu ne percevras jamais le monde réel, et vivra dans la cage de ton imagination et de tes illusions »
Ayant dit, il prit un verre rempli d’eau et me demanda de verser du lait dedans, me donnant ordre de ne pas m’arrêter. Je lui obéis, mais le lait rentrait à peine dans ce verre déjà plein, et fatalement débordait.
« Si un verre est plein d’eau, on ne peut mettre autre chose dedans. Il en est de même avec l’esprit. Pratiquer le yoga signifie d’abord de débarrasser son intellect de tout préjugés, de toutes idées préconçues »
Cette simple démonstration fut l’un des piliers de son enseignement : quoique nous fassions, asanas, pranayamas, vyayama, mantras ou études des textes et du sanscrit, il m’incitait toujours à essayer différentes méthodes. J’étais avec lui dans le jeu et la recherche.
Mais il était aussi un incroyable conteur. Le soir, au soleil couchant, à l’ombre de ce même arbre de peepal qui avait abrité notre première rencontre, il me parlait de sa jeunesse, de son apprentissage du yoga dans les Himalaya. Au cœur des vallées d’Himachal Pradesh, où la neige s’accumule sur les flancs des montagnes depuis des millénaires, il vécut parmi les yogis qui habitaient ces montagnes, maîtres et ascètes à la fois, philosophes vivant dans un engagement spirituel total.
Ses récits furent ma source d’inspiration pour commencer ma propre quête. A l’âge de 17 ans, j’ai entamé une série de voyages à travers l’Inde pour approfondir mes connaissances sur le Yoga. Des rives de l’océan indien aux vallées des Himalaya, j’ai eu l’occasion de rencontrer et de discuter avec plusieurs maîtres dont l’un d’entre eux, Swami Sudhanand. Il deviendra mon maitre et mon guide dans ma recherche personnelle. A travers lui, J’ai retrouvé le même désir d’enseigner qu’avec mon premier maître, mais également une grande ouverture d’esprit. Il me disait souvent que ce n’est pas uniquement ce que nous ignorons qui nous contraint, mais également ce que nous savons. Il m’a incité à approfondir les liens qui existent entre l’Ayurvéda et le Yoga, m’a ouvert au monde caché des écoles Tantriques, m’a orienté vers l’étude des rites Védiques afin d’améliorer mes connaissances. Et surtout, il m’a incité à intégrer ces connaissances dans la vie de tous les jours.
« Bien souvent – me disait-il – les gens se tournent vers le spirituel car ils sont malheureux dans leur quotidien, ils ont échoué ou ils ont peur d’avoir manqué leurs vies. Cela fausse alors la quête car ils courent vers des solutions illusoires pour soulager leurs douleurs. Mais le spirituel n’est pas une échappatoire. Ce n’est pas une quête vers des réponses. C’est une quête vers des questions. L’ignorance est aveugle, et empêche de se poser les bonnes questions. »
Son enseignement est l’un des piliers de mon existence. Cela m’a permis de choisir comment je souhaitais mener ma vie de tous les jours, tout en continuant mes recherches et mes voyages. Ils ont continué bien après mon arrivée à Paris. Mais ce n’est que récemment que j’ai pris conscience de mon devoir de transmettre. Ainsi est né Abhisaran ; d’un désir de transmission, et d’une volonté de faire contrepoids au yoga moderne tel qu’il se pratique aujourd’hui. Partager ce que l’on m’a appris, sans dogmatisme, par une approche globale et holistique du yoga qui travaille à la fois le corps, la psyché et l’esprit.
