अनुभूतविषयासंप्रमोषः स्मृतिः॥११॥
anu-bhūta-viṣaya-asaṁpramoṣaḥ smr̥tiḥ ॥11॥
Le non-perte/non-vol de l’expérience d’un objet (perceptible par les 5 sens) est la mémoire.
Commentaire de Vyasa
Est-ce que le citta (champ du mental) se souvient de la cognition ou l’objet de l’expérience ? Une cognition est associée avec et coloré par l’objet de la compréhension. Elle ressemble et manifeste les qualités à la fois de l’objet de compréhension et à la fois du processus et l’instrument de la compréhension. Cette cognition produit par la suite une empreinte (samskara) qui est similaire aux deux.
Ce samskara manifeste son identité avec sa propre cause de manifestation, ce qui génère un souvenir. Ce souvenir est identique à samskara, son identité manifeste et la cause de manifestation. Il contient à la fois l’objet compris et à la fois le processus et l’instrument de cognition.
Ici, quand le processus et l’instrument de cognition sont la qualité primaire, il s’agit de buddhi. Quand la forme de l’objet de l’expérience est la qualité primaire, cela devient un souvenir. Ces souvenirs sont de deux styles : a) quand on se souvient de quelque chose de l’imaginaire, et b) quand on se souvient de quelque chose qui n’est pas imaginaire. Le premier se manifeste dans les rêves et le deuxième se manifeste durant le réveil. La source de ces souvenirs est la cognition réelle, la cognition imaginaire, la cognition pervertie, le sommeil et les souvenirs.
Également, tous ces vritti consistent de plaisir, douleur et stupéfaction. Plaisir, douleur et stupéfaction cependant nous les expliquerons quand nous parlerons des klesha (les afflictions). L’attirance (raga) est préposée à plaisir. L’aversion (dvesha) est préposée à douleur. L’ignorance (avidya) est préposée à stupéfaction.
Tous ces vritti (fluctuations) doivent être dissolu (dans leur cause). Ayant accompli cette dissolution, on atteint le samadhi cognitive ou même le samadhi a-cognitive.
Discussion
- Anu-bhuta = Compris, jugé, appréhendé.
- Viṣaya = l’objet des sens (cognitives), ce qui est perceptible par les sens (cognitives).
- Asaṁpramoṣaḥ = sampramōṣḥ veut dire perte/destruction. Quand on ajoute « a » avant le mot, cela signifie « l’absence de ». Donc « l’absence de perte/destruction »
- Smr̥tiḥ = Souvenir, recollection, mémoire.
Quel est la nature de la mémoire ? Pourquoi est-ce que citta (champ du mental) se souvient des choses ? Quel est le processus des souvenirs ? Est-ce que citta se souvient de l’acte de cognition ? Ou est-ce qu’il se souvient de l’objet de cognition ?
Afin de répondre ces questions, il est d’abord important de comprendre le processus de cognition. Ici, je ramène votre attention sur le mot qu’utilise Patanjali : visaya. Il existe deux possibilités de la racine de ce mot. विष् qui veut dire « agir » ou वि+ सि (vi+si) qui veut dire « étendre ». Traduit simplement, ce mot veut dire « sujet » ou « objet ». Par exemple, visaya de discussion sera traduit comme sujet de discussion. D’autres traductions possibles de ce mot sont « boussole », « horizon », « portée (notamment des sens, du mental) ». Il est également utilisé comme un symbolique pour le chiffre « 5 ».
Donc si on traduit le mot complexe « anu-bhūta-viṣaya », cette traduction sera : « l’objet appréhendé par les 5 sens ».
Souvenons-nous également du commentaire de Vyasa sur le Sutra I.1. Dit-il : « Yoga est samadhi et c’est une particularité de citta qui imprègne tous ses plans. Les 5 plans de citta sont : Kshipta (errant), mudha (somnolent), vikshipta (errant mais qui se concentre de temps en temps), ekagra (concentré) et nirruddha (maîtrisé). »
Alors comment se passe la cognition ? Les sens (un ou plusieurs) perçoivent un objet. Ils ramènent le citta vers l’objet. Notez ici, ce n’est pas l’objet qui vient vers citta mais citta qui va vers l’objet. Grâce à la lumière de Purusha, buddhi (intellect) comprend/appréhende l’objet.
Quand j’étais jeune, je visualisais ce processus ainsi : mes sens sont les tentacules. Ils s’accrochent à l’objet. A travers ces tentacules, le citta et purusha sont amener vers l’objet en question. Il y a donc un samadhi entre Purusha et l’objet (c’est-à-dire mon purusha et l’objet habitent le même endroit).
Une cognition est associée avec et coloré par l’objet de la compréhension. Elle ressemble et manifeste les qualités à la fois de l’objet de compréhension et à la fois du processus et l’instrument de la compréhension. Cette cognition produit par la suite une empreinte (samskara) qui est similaire aux deux.
Purusha, citta et l’objet alors habitent le même endroit durant le moment de cognition. Cela va de soi que l’objet va colorer citta durant ce processus. De même, la cognition va être non seulement influencé par l’objet, mais aussi l’état de citta et l’instrument de cognition. C’est-à-dire, le processus de cognition de la même boite à musique sera différent si l’instrument de cognition sont les yeux comparés à si l’instrument de cognition sont les oreilles. Ce processus ainsi que l’instrument (quel sens) vont également colorer la cognition.
La cognition (qui est un vritti – fluctuation du champ du mental) produit par la suite une empreinte (samskara) qui possède les qualités similaires à l’objet de cognition ainsi que le processus/instrument de cognition. C’est-à-dire le samskara produit par la cognition via le sens tactile sera différent que le samskara produit par la cognition via le sens olfactif.
Ce samskara manifeste son identité avec sa propre cause de manifestation, ce qui génère un souvenir. Ce souvenir est identique à samskara, son identité manifeste et la cause de manifestation. Il contient à la fois l’objet compris et à la fois le processus et l’instrument de cognition.
Parlons alors de comment les souvenirs sont générés. J’ai toujours trouvé cela utile de penser aux samskara comme une empreinte sur un objectif à travers lequel Purusha voit le monde. Quelque part, chaque samskara est un souvenir qui contient à la fois l’objet (qui a laissé son empreinte) et le processus de cognition de l’objet. Mais on se souvient de quelque chose uniquement quand « on se rappelle » (quand samskara manifeste son identité) de l’objet ou le processus de cognition. C’est ce que l’on peut catégoriser comme souvenir, qui est identique à samskara.
La chaine de causation ici est ainsi :
- L’expérience (cognition) à travers lequel est produit :
- Samskara, qui génère
- Souvenir
Ici, quand la qualité primaire de samskara est le processus de cognition, c’est plus l’intellect (buddhi) qui est incité à travailler. C’est-à-dire : « je connais cet objet ». Il s’agit alors plutôt du buddhi qui est conscient du fait qu’il connait/reconnait l’objet en question. Or, quand la qualité primaire de samskara est la forme de l’objet, dans ce cas-là, on peut le catégoriser davantage comme un souvenir.
Prenons un exemple. La première fois on voit une pomme. Il y a deux samskara qui sont produit durant cet instant. Le premier c’est « j’ai compris ce que c’est », qui est un samskara au niveau de buddhi. Et deuxième samskara c’est la forme de pomme lui-même, qui devient alors un souvenir. Donc la deuxième fois on voit la pomme, buddhi ne va pas refaire « j’ai compris ce que c’est ». Mais la forme de l’objet (de la pomme) sera la qualité primaire de la cognition, et presque automatiquement le souvenir de la première pomme va réapparaitre.
Ces souvenirs sont de deux styles : a) quand on se souvient de quelque chose de l’imaginaire, et b) quand on se souvient de quelque chose qui n’est pas imaginaire. Le premier se manifeste dans les rêves et le deuxième se manifeste durant le réveil. La source de ces souvenirs est la cognition réelle, la cognition imaginaire, la cognition pervertie, le sommeil et les souvenirs.
Vyasa catégorise les souvenirs comme ayant deux styles : a) ceux qui se basent sur l’imaginaire (et donc font parties des rêves) et b) ceux qui se basent sur la cognition de quelque chose de réel (que cette cognition soit juste ou pervertie).
Mais une question intéressant se pose ici : est-ce que l’on peut réellement catégoriser les rêves comme étant des souvenirs ? Ce qui est sûr que les rêves (très souvent) contiennent une partie des souvenirs. Mais d’autres parties des rêves peuvent être entièrement lié à l’imaginaire. Cette imaginaire peut être dû à la cognition pervertie (et parfois incomplet) d’un objet. Tout comme cette imaginaire peut être entièrement sans base (sans objet, donc vikalpa). Notez également comment Vyasa considère les souvenirs comme étant eux même une des causes des souvenir. (Le fait de se rappeler génère également un souvenir).
Également, tous ces vritti consistent de plaisir, douleur et stupéfaction. Plaisir, douleur et stupéfaction cependant nous les expliquerons quand nous parlerons des klesha (les afflictions). L’attirance (raga) est préposée à plaisir. L’aversion (dvesha) est préposée à douleur. L’ignorance (avidya) est préposée à stupéfaction.
Nous avons alors parlé des 5 styles de vritti. Chaque vritti qui crée son propre samskara, qui est similaire à vritti en question. Ces vritti créent soit le plaisir, soit la souffrance et soit la stupéfaction. Vyasa (et Patanjali) rentrerons en détails durant le sutra II.5 quand on va parler des klesha, mais il crée déjà le lien entre l’attirance et plaisir, entre l’aversion et douleur, et entre l’ignorance est stupéfaction. L’intégralité des vritti doivent être dissolus dans la voie de Yoga. Mais la question se pose : pourquoi les vritti d’attirance (et donc de plaisir).
Pour comprendre cela, un exercice à faire : prenez un vritti d’attirance qui amène plaisir. Et essayez de creuser ce vritti à travers la cause et l’effet sur court terme et long terme. Est-ce que ce vritti est capable d’exister dans sa forme sans quel conque mutation ? Dit autrement : est-ce qu’un vritti d’attraction va toujours rester plaisir ? Ou est-ce que l’attraction et l’aversion ne sont que deux faces de la même pièce ?
Commentaire personnel
Les singes de Gandhi sont assez connus : un singe qui ferme les yeux, l’autre qui bouche ses oreilles et le dernier qui ferme sa bouche. « Ne regarde rien de mal, n’écoute rien de mal et ne dit aucun mal ». D’un côté, on peut parler de « s’aveugler à la réalité », qui n’est bien entendu pas conseillé. Mais en contrepartie, la cognition de mal produit les samskara qui ont les qualités similaires à ce mal.
Cette compréhension du processus de cognition et son effet sur les samskara est parmi les raisons principaux pourquoi on parle autant de la non-violence ou de s’entourer des personnes paisibles, etc.
Une question intéressant se pose alors : est-ce que la censure a sa place dans sa vie moderne ? Ou vaut-il mieux laisser les images et les nouvelles de violences remplir les chaines d’information sous prétexte qu’il s’agit de la vérité ?