अथ योगानुशासनम्॥१॥
atha yoga-anuśāsanam ॥1॥
Maintenant démarre les instructions dans la discipline de Yoga (suivant les traditions antérieures).
Commentaire de Vyasa
« Atha » dénote adhikara (que l’auteur a les qualifications nécessaires et l’autorité pour entreprendre une exposition sur le sujet de Yoga). Cela signifie qu’un texte sur la science de Yoga sera maintenant enseigné (par quelqu’un qui possède l’autorité aux personnes qualifiées).
Yoga est samadhi et c’est une particularité de citta qui imprègne tous ses plans. Les 5 plans de citta sont : Kshipta (errant), mudha (somnolent), vikshipta (errant mais qui se concentre de temps en temps), ekagra (concentré) et nirruddha (maîtrisé).
Parmi cela (parmi ses plans), le samadhi atteint par un citta en vikshipta (concentré de temps en temps) ne peut pas être compris dans la discipline de Yoga car l’état de concentration est suivi par l’état d’errance. En contrepartie, le citta qui est en état d’ekagra (concentré) révèle l’objet dans sa forme pure, enlève les afflictions, défaits les liens de karma, est considéré comme étant en état de Samprajnata Samadhi (Samprajnata = sagesse/cognitive). Ce Samadhi est accompagné par vitarka (pensée discursive), vicara (pensée subtile), ananda (béatitude) et asmita (l’égo tourné vers l’intérieur).
Mais quand toutes les modifications sont maitrisées/cessent d’exister, Asamprajnata (sans cognition) samadhi est atteint.
Atha – le pouvoir du maintenant
Au début, même le néant n’était pas, ni l’existence ; il n’y avait pas d’air alors, ni le ciel au-delà. De cette « chose » qui n’est ni l’existence ni le néant, le cosmos s’est manifesté. La première vibration du moment de la création fut Aum. Le premier mot sortit de la bouche du créateur fut Atha.
Certains mots sont sacrés. En Hindouisme, rien n’est plus sacré que Aum… et Atha. Rien que par sa présence, Atha sert d’une bénédiction lors du démarrage d’un texte. Mais il a également deux autres fonctions.
La première fonction d’Atha est de montrer adhikara de celui qui compose/enseigne le texte. C’est-à-dire que cette personne a les connaissance requises et l’autorité nécessaire pour enseigner ce qui va suivre.
Le deuxième rôle d’Atha est anantarya ou la transition. Quelque chose précédait le texte que l’on va apprendre. Mais maintenant, c’est le moment de tourner la page et se concentrer sur ce qui sera enseigné.
Le sage Vyasa considère que l’utilisation de mot Atha au début des Yoga Sutras montrent avant tout que Patanjali a l’autorité et la capacité d’enseigner la discipline de Yoga. D’ailleurs, la plupart des commentateurs sur les Yoga Sutras partagent cet avis : que dans le contexte de ce texte, Atha sert à la fois comme une bénédiction et à la fois comme l’autorité/capacité de Patanjali dans le domaine de Yoga.
Néanmoins, c’est également sa signification de transition qui est à explorer afin de bien comprendre ce Sutra.
Quand j’apprenais Yoga, il y avait deux préceptes qui étaient considérés comme étant primordiaux dans l’enseignement : a) Rien n’est créé, rien n’est détruit ; tout n’est qu’une transformation (c’est la base de la philosophie de Samkhya) et b) Le temps n’est pas linéaire ; ce n’est que notre perception (fautive) qui nous fait croire que le temps est une ligne.
Dans la philosophie Hindoue, le temps était toujours représenté comme une roue. Mais pas une roue moderne que l’on met dans les voitures. Plutôt comme une roue d’un chariot. Cette image est très importante afin de comprendre le concept de temps, d’espace et de causalité dans les philosophies hindoues.
On perçoit la causalité comme étant linéaire. La cause donne à l’effet directement. Sur un niveau superficiel, c’est précisément ce qui parait. Pourtant, le plus on avance dans Yoga, le plus la conception de temps, d’espace et de causalité change. On aperçoit alors que chaque moment, chaque particule, chaque espace est profondément uni dans un champ commun. Aucune particule, aucun moment ne passe d’un état à l’autre sans passer par ce champ commun.
Nous fêtons tous les transitions. Elles étaient toujours considérées comme étant très importantes. La fin de l’hiver et l’arrivée du printemps. Le jour de l’anniversaire. Mais un Yogi aperçoit aussi les changements bien plus subtils. Le moment où le biorythme de son souffle va changer. La fin d’une pensée et l’arrivée d’une autre. Il apprend alors de vivre dans ses instants de transitions car c’est à ce moment là qu’il est le plus proche de ce champ où tout se réunit : où le passé, le présent et l’avenir coexistent.
Ce qui nous amène à un deuxième point de fort intérêt : qu’est-ce qui donne à Patanjali l’autorité d’enseigner Yoga ? D’ailleurs qui enseigne Yoga ? Dans le Sutra I.26, Patanjali dit, parlant de Isvara (Dieu) : que c’est l’enseignant de tous les enseignants, car en lui il n’y a aucune limite de temps.
Traditionnellement, on ne considère pas que c’est le maître qui enseigne. Plutôt, le Yoga est enseigné par Hiryanagarbha (la matrice dorée). (Réf : Brhad-yogi-yajnavalkya-smriti XII.5, Rg Véda : X.121.1). Le rôle d’un maître en Yoga est d’enlever les obstacles pour que l’élève puisse être en contact direct avec cette matrice dorée. Alors une question intéressante se pose : Qui était/est Patanjali !?
Anushasana – Les instructions (dans la discipline de Yoga).
Le mot anushasana est composé du préfixe « anu » (après, selon) et de la racine « shas » (ordre/commande/discipline). De cette même racine « shas » on obtient également deux autres mots intéressants : « shastra » qui veut dire l’étude/science/loi/texte sacré et « shishya » qui veut dire discipline/l’élève.
Ici, le choix des mots est d’une haute importance. Patanjali ne dit pas « Yoga Shastra » (qu’il va enseigner la science de Yoga). Mais il utilise le mot « anusahana » (qu’il va enseigner la discipline de Yoga).
Pourquoi la discipline de Yoga au lieu de la science de Yoga ?
La réponse se trouve dans le préfixe « anu ». « Anu » signifie que quelque chose précédait l’enseignement qui sera donné. Pareillement, bien que Patanjali ait l’autorité d’enseigner Yoga (le mot atha), il n’est pas pour autant le créateur de Yoga (d’où anushasana). Cela signifie également que l’élève a montré les qualifications nécessaires pour aborder le sujet de Yoga.
C’est pour cela que Vyasa, dans son commentaire, ajoute : « Cela signifie qu’un texte sur la science de Yoga sera maintenant enseigné (par quelqu’un qui possède l’autorité aux personnes qualifiées). »
Qu’est-ce qui représente un élève qualifié ? Traditionnellement, les élèves étaient divisés en trois catégories : a) ceux qui montraient une bonne capacité d’apprentissage, b) ceux qui montraient une grande maîtrise de soi et c) ceux qui montraient à la fois une bonne capacité d’apprentissage et une grande maîtrise de soi. (Ces derniers, bien entendu, étaient vus comme les élèves parfaits).
Également, l’apprentissage se faisait d’une manière holistique et graduel. Donc typiquement, dans un ashram (école à l’ancienne où les élèves habitaient chez le maître), on enseignait non seulement Yoga mais également d’autres écoles de philosophies et d’autres sciences.
Yoga – les origines du mot
Presque tous les commentateurs modernes voient l’origine du mot Yoga comme étant « Yujir » (unir/conjonction). Et tous les commentateurs anciens (comme Vyasa) voit l’origine du mot Yoga comme étant « Yuj Samadhau » ou, comme dit Vyasa : Yoga est Samadhi.
Avant de continuer sur quelle définition est exacte, prenons le temps de comprendre le mot Samadhi.
Samadhi vient de deux racines : Sama qui veut dire « ensemble/équilibre » et dha qui veut dire « l’endroit/placer ». Dit autrement, quand l’ensemble de citta (le champ énergétique du mental) est placé dans un seul endroit (objet de concentration) et Purusha (la conscience) peut observer cet objet, cela s’appelle Samadhi.
Pour faire simple : on peut traduire Samadhi comme « l’absorption totale dans l’objet de la concentration (intense) ».
A partir de cette base, explorons si ce sont les commentateurs modernes ou anciens qui ont raison sur la définition de Yoga.
Tout d’abord, prenons l’exemple de ce que les textes disent à propos de Yoga :
- yogaś-citta-vr̥tti-nirodhaḥ ॥2॥ (Patanjali Yoga Sutra I.2) – L’inhibition des modifications du mental est Yoga.
- Yoga est Samadhi (Vyasa dans les commentaires sur les Yoga Sutras).
- Retenir les sens (dans leur point d’origine) est ce qui est appelé Yoga. Mais l’on doit faire attention, car Yoga va et vient. (Katha Upanishad II.3.11)
- Le Yogi doit retenir les pranas, quand ils (pranas) sont calmés, il doit expirer. Ensuite, sans distraction, retenir son mental comme un cocher restreint ses chevaux vicieux. (Svetasvatara Upanishad II.9)
- Yogi est celui qui est satisfait de connaissance et discernement, qui a conquis ses sens et reste non-perturbé dans toutes les circonstances, et qui voit le sable, la pierre et l’or avec la même équanimité (Bhagavad Gita VI.8)
Il existe des centaines d’autres exemples qui pourraient être cités venant des divers Upanishad, Gita et d’autres textes, mais ce qui est remarquable c’est que personne ne parle d’union.
Ce point est d’autant plus important aujourd’hui car la définition de Yoga a encore changé et est vu comme une pratique qui cherche à unir le corps et l’esprit. Si on reste dans ce but, cela deviendra « anti-yoga » comparé à tous les systèmes/définitions de Yoga. De même, dans les Yoga Sutras, Patanjali voit le but d’un Yogi comme étant « Kaivalya » (libération des entraves de Prakriti) mais pas l’union entre l’âme individuelle et la conscience suprême (qui sera une prochaine étape !).
Pourquoi les commentateurs anciens définissent Yoga comme étant « samadhi » ou « inhibition des sens » ou « maîtrise et l’équanimité » ? La réponse se trouve dans la philosophie de Samkhya.
A noter : traditionnellement, Samkhya était enseigné avant Yoga – ce qui est un indice de plus sur pourquoi Patanjali utilise le terme « anushana » au lieu de « shastra ».
Samkhya nous parle d’une dualité Purusha (la conscience) et Prakriti (la nature primordiale). (A noter : la dualité n’est pas du tout corps et esprit. Pareillement, contrairement à l’idée moderne que c’est le mental qui crée la conscience, la conscience en Yoga est vu comme étant « sous l’entrave du mental »).
Purusha (la conscience) est un observateur pur qui cherche à observer. Qu’est-ce qu’il observe ? Prakriti (la nature primordiale).
Ce Prakriti va évoluer. La première évolution sera Buddhi (Intellect) qui a deux faces : extérieur (qui donnera naissance au reste du cosmos) et intérieur (qui sera tourné vers le Purusha). Buddhi va par la suite se transformer en Ahamkara (L’égo). De l’égo sera né d’un côté le mental (manas), qui par la suite va donner naissance aux 5 sens cognitifs et 5 organes d’action. De l’autre côté de l’égo seront nés les 5 éléments subtils (tanmatras) et les 5 éléments grossiers (mahabhuta), qui donneront naissance au corps/monde/cosmos manifesté.
L’ensemble de Buddhi (intellect extérieur et intérieur), Ego et Mental est appelé citta.
Purusha observe à travers ce citta. Le rôle de citta est de permettre l’observation. Et les sens sont à la fois le conduit de cette observation et à la fois ceux qui donnent direction à citta.
Prenons une analogie. Imaginons que l’on se trouve dans une pièce complètement noire avec une lampe de poche unidirectionnelle. Cela va de soi alors que l’on ne pourra observer que ce que cette lampe illumine. Ce que l’on voit va dépendre d’où on tourne la lampe (le rôle des sens). Combien bien on voit dépendra de la qualité de la lampe (citta).
La définition de Yoga dans cet exemple sera quand la lampe illumine l’objet et on arrive à se concentrer/s’absorber dans l’objet (Samadhi).
Continuant sur cette définition de Yoga, Vyasa ajoute que « samadhi est une qualité de citta sur tous ses plans/états ». Ça peut paraître contradictoire surtout quand il explique les 5 états d’esprit. Après tout, comment peut on dire que samadhi (qui demande une concentration intense) est une qualité de citta dans son état de kshipta (errant – quand l’esprit n’arrive pas à se concentrer/bouge sans cesse).
Pour comprendre cela, reprenons l’exemple de lampe. La nature de la lampe est d’illuminer. Mais si on n’arrête pas de bouger la lampe de droite à gauche ? L’esprit dans l’état de kshipta est pareil. Sa nature est toujours samadhi (illuminer), mais ce samadhi ne dure que quelques microsecondes.
Mais est-ce que ce Samadhi d’un citta errant pourrait être appelé Yoga ? Vyasa qualifie cela en expliquant que le Samadhi d’un citta en vikshipta (concentré que durant quelques temps) ne peut pas être appelé Yoga car par la suite l’esprit retourne dans l’état de kshipta (errance) ou mudha (somnolence).
Dit autrement, Yoga est Samadhi. Mais uniquement le Samadhi d’un citta en ekagra (concentré) et nirruddha (maîtrisé) constitue Yoga. Ce qui rejoint d’autres définitions de Yoga que j’ai pu citer dans ce texte.
atha yoga-anuśāsanam ॥1॥
La phrase parait simple : « Maintenant démarre les instructions dans la discipline de Yoga ». Essayons de le traduire d’une façon plus complète :
Maintenant, dans ce moment auspicieux, démarre les instructions, qui seront données par celui qui a l’autorité/capacité de les donner aux personnes qualifiées, d’une science/art qui permet la maîtrise des sens et l’absorption dans l’objet de concentration.
A retenir :
- Atha signifie un moment auspicieux et l’autorité/capacité de la personne qui a prononcé ce mot. C’est également un signal pour prendre conscience du moment de la transition.
- Anushanam signifie que la discipline qui suit sera enseigné aux personnes qualifiées et va exiger « la discipline » de la part de l’élève (donc pas une étude à entreprendre d’une manière non-sérieuse).
- Yoga n’est pas l’union, et surtout pas l’union de corps-esprit. Yoga est Samadhi atteint quand citta a atteint soit la concentration intense soit la maîtrise totale (cessation d’extraversion).
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