Yoga Sutra I.12: enlever les vritti

Comme l'eau réduit les roché en poussière, la pratique enleve les vritti

अभ्यासवैराग्याभ्यां तन्निरोधः॥१२॥
abhyāsa vairāgyābhyām tannirōdha 12

Les vritti sont dissolus à travers la pratique et le non-attachement.

Commentaire de Vyasa

Alors comment est-ce que l’on dissout ces vritti ?

Le ruisseau de citta (champs du mental) coule dans les deux directions. Il coule vers la vertu (कल्याण) et il coule vers le mal (पाप). La partie qui coule à travers le domaine de discernement (viveka) et vers le réservoir de kaivalya (l’isolation, quand purusha existe dans sa propre nature sans avoir besoin de prakriti) amène la vertu. La partie qui coule à travers le domaine de manque de discernement (aviveka) et vers le réservoir de samsara (les attachements mondiaux/renaissance) amène le mal.

Là le ruisseau des attirances matériels est bloqué et réduit à travers vairagya (non-attachement). Le ruisseau de la sagesse est ouvert à travers abhyasa (la pratique) de la réalisation de connaissance et discernement.

Ainsi le nirodha (dissolution) des vritti (fluctuations) de citta dépend des deux (la pratique et le non-attachement).

Discussion

Patanjali a défini Yoga comme la dissolution (nirodha) des vritti (fluctuations) du champ de mental. Il a également défini les 5 styles de fluctuations qui existent dans ce champ du mental. Mais comment peut-on dissoudre ces fluctuations ? Dans ce sutra, il donne la réponse : à travers la pratique ET le non-attachement.

Pourquoi les deux sont importants ? C’est le commentaire de Vyasa qui nous aide à mieux comprendre.

citta coule dans les deux sens

Le ruisseau de citta (champs du mental) coule dans les deux directions.

Si vous vous rappelez, citta est la conduite entre Purusha et le monde externe. C’est à travers le citta que Purusha observe le monde externe. Citta sert alors à i) Illuminer le monde externe par la lumière de Purusha et ii) à ramener ce qui est perçu (par les sens) à Purusha. Il ne peut servir ces deux buts uniquement s’il est capable d’aller dans les deux sens : vers le monde externe ET vers Purusha.

Il coule vers la vertu (कल्याण) et il coule vers le mal (पाप).

J’ai toujours trouvé cette partie du commentaire comme étant fort intéressant. Au fond, la philosophie Hindoue porte jugement sur deux aspects : Karma (l’acte et la causalité générée par l’acte) et dharma (ce qui augmente le niveau de sattva guna chez une personne/la société, ou ce qui le diminue). Mais Vyasa utilise les termes qui sont beaucoup plus directes.

Kalyana (कल्याण) peut être traduit dans plusieurs façons. On peut le traduire comme « la bonne conduite », « prospérité », « bonne chance » ou encore « la vertu ». Mais pour mieux comprendre le mot, je vais utiliser une histoire venant de la mythologie. Une fois, les descendant du Sage Angiras (qui fut adopté par Agni – le dieu du Feu) et un sage qui s’appelait Kalayana avait fait un sacrifice pour atteindre le paradis. Mais personne entre eux connaissait la route vers le paradis. Donc ils décident d’envoyer le sage Kalyana pour chercher cette route divine. Durant ses recherches, Kalyana rencontre un demi-dieu qui lui confie le Sama (mélodie) qui lui permettra de découvrir la route vers le paradis. Kalyana rentre et partage ce savoir avec les descendants d’Angiras, mais il refuse de leur dire comment il avait obtenu la mélodie. Les descendants d’Angiras arrivent à atteindre le paradis grâce à ce Sama. Mais quand Kalyana lui-même cherche à aller vers le paradis, sa route est bloquée car il n’avait pas dévoilé la vérité entière.

Le mot « papa » (पाप) peut être traduit comme le vice, le mal, quelqu’un de vicieux, mauvais, l’enfer.

J’ai trouvé cela fascinant que Vyasa utilise ici une dualité assez forte et extrême : quand citta coule vers Purusha, il amène vers le paradis (béatitude/bonheur) mais quand il coule vers le monde externe, il amène le mal.

A réfléchir : pourquoi Vyasa est si catégorique (et dur) ?

La partie qui coule à travers le domaine de discernement (viveka) et vers le réservoir de kaivalya (l’isolation, quand purusha existe dans sa propre nature sans avoir besoin de prakriti) amène la vertu.

La partie qui coule vers Purusha traverse le buddhi (intellect/discernement) et c’est en suivant cette voie que kaivalya (l’isolation de Purusha) est atteint. C’est également dans cette direction que l’on trouve la voie de dharma (ce qui est juste, ce qui permettra sattva guna à devenir prédominant à la fois en nous et à la fois dans la société).

La partie qui coule à travers le domaine de manque de discernement (aviveka) et vers le réservoir de samsara (les attachements mondiaux/renaissance) amène le mal.

Mais de l’autre coté est le mental (manas), les sens, les émotions et la turbulence. Rajas et Tamas guna deviennent alors prédominant, ce qui amène le manque de discernement. Cela crée des attachements avec d’autres êtres, des objets, etc. Et ce sont ces attachements qui amènent samsara ou le cycle de réincarnation interminable. Les actes incités par ce manque de discernement vont aussi augmenter le niveau de tamas et rajas dans le monde. Et adharma (ce qui va à contresens de dharma) va devenir prédominant.

Là le ruisseau des attirances matériels est bloqué et réduit à travers vairagya (non-attachement). Le ruisseau de la sagesse est ouvert à travers abhyasa (la pratique) de la réalisation de connaissance et discernement.

Vu que ce sont les attachements à l’externe (que ce soit un être ou un objet) qui génèrent le cycle continue de réincarnation ; la seule manière de bloqué le courant naturel de citta vers l’extérieur reste le non-attachement. Ce mot vairagya est souvent traduit comme « détachement ». Néanmoins, détachement vient aussi de l’aversion. De même, détachement peut être entièrement superficiel. D’où l’utilisation de mot « non-attachement » ou « manque d’attachement » dans ma traduction.

Si le non-attachement bloque le courant de citta vers le monde extérieur, encore faut il assurer que l’intégralité de citta coule vers Purusha ou lieu de rester en stase au milieu de nulle part. Et c’est le rôle de abhyasa ou la pratique. Mais la pratique de quoi ? La pratique des asanas ? Pranayama ? Mantra ? Ce sera le sujet du prochain cours ! Mais brièvement : quand on parle d’abhyasa en Yoga, on ne se limite pas du tout aux asanas et aux pranayamas. Plutôt il s’agit d’une pratique qui aide à cultiver viveka ou le discernement.

Commentaire personnel

Très souvent, la pratique traditionnel (de Yoga, de Tantra, et d’ailleurs d’autres formes de spiritualité) est associée à une certaine rigidité et un certain dogmatisme. On ressent cette rigidité chez Vyasa aussi.

D’un côté, ce n’est pas entièrement sans raison. Plus on avance dans le chemin de Yoga, plus on arrive à apercevoir les liens causals qui dépassent des siècles. On arrive alors à voir les effets qu’une mauvaise pratique va générer, non seulement dans la vie (et les prochaines vies) du pratiquant ; mais également sur l’intégralité de la société.

Cependant, de l’autre côté, cette rigidité est également un signe que le pratiquant en question n’a pas encore atteint vairagya (non-attachement).

La question se pose alors : qu’est-ce qu’il faut privilégier ? La rigidité ? ou la souplesse ?

Publié par

Pour moi, le Yoga est un voyage qui a démarré quand j'étais à peine adolescent... mais ce n'était pas le Yoga tel qu'il est pratiqué de nos jours. Il s'agissait surtout d'un art de vivre, une quête vers le Soi, un désir de s'interroger. Aujourd'hui, à travers Abhisaran, j'essaie de transmettre cette approche globale et holistique du yoga qui travaille à la fois le corps, la psyché et l'esprit, tout en s'appuyant sur l'Ayurvéda et le Tantra.

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