तदा द्रष्टुः स्वरूपेऽवस्थानम्॥३॥
वृत्तिसारूप्यमितरत्र॥४॥
tadā draṣṭuḥ svarūpe-‘vasthānam ॥3॥
vr̥tti sārūpyam-itaratra ॥4॥
A ce moment-là (après la dissolution des fluctuations/modifications du mental), l’Observateur (celui qui observe ou Purusha) se repose dans sa propre nature. (3)
A tout autre moment, (l’Observateur) s’identifie avec les formes des fluctuations/modifications. (4)
Commentaire de Vyasa
Sur Sutra 3
A cet état de citta (après la dissolution des vritti), il n’y a plus d’objet de cognition, alors quel est l’état de Purusha qui s’était identifié avec les cognitions de buddhi ? « A ce moment-là (après la dissolution des fluctuations/modifications du mental), l’Observateur (celui qui observe ou Purusha) se repose dans sa propre nature. » A ce moment-là, le pouvoir de cit (conscience) s’établit dans sa propre nature, comme dans un état de liberté total. (Or) dans un citta extraverti, il (Purusha) ne parait pas centré sur sa propre nature, bien qu’en réalité c’est le même (Purusha).
Sur Sutra 4
Comment alors ? Parce que les objets sont présentés à sa vue, « A tout autre moment, (l’Observateur) s’identifie avec les formes des fluctuations/modifications. »
Purusha apparaît comme ne possédant aucun vritti distingué des vritti de citta dans son état de vyutthana (extraversion). Citta est comme un aimant, qui rend service rien que par sa proximité. Etant un objet vu par Purusha, il devient la propriété et possession (svam) de Purusha, qui est son maître (svamin). Alors la cause de cognition des vritti par Purusha est sa connexion sans début (avec citta). Comme dit le sutra de Panchashikha :
Il n’y a qu’une perception ; la cognition réflexive (la capacité de discerner) (khyati) est la seule perception (valide).
Discussion
Le lien corps/cerveau et citta d’après Yoga et Samkhya
Dans le dernier Sutra, Patanjali avait défini Yoga comme étant la dissolution des vritti du citta dans leurs causes. Mais pourquoi cherchons-nous à dissoudre ces vritti ? Que se passe-t-il après la dissolution des vritti ? Que se passe-t-il si les vritti ne sont pas dissolus ?
दुःखत्रयाभिघाताज्जिज्ञासा तदभिघातके हेतौ ।
duḥkha-trayā-abhighātāt-jijñāsā tat-abhighātake hetau |
दृष्टे सापार्था चेन्नैकान्तात्यन्ततोऽभावात् ॥ १ ॥
dṛṣṭe sa-apārthā cet na-ekānta-atyantataḥ abhāvāt ||
A cause du tourment des trois souffrances (causées par notre intérieur, par notre environnement/les autres, et par les forces hors de notre contrôle) est née cette enquête afin de savoir comment les combattre. S’il est dit qu’une telle enquête est inutile car il existe des moyens de soulager ces souffrances, nous répondons non, car ces moyens ne sont ni durables ni efficaces. – Samkhya Karika I.
L’être souffre. Il existe bien entendu des milliers de façons de soulager la souffrance. Pourtant est-ce que ces méthodes sont vraiment durables ? Quand on se sent stressé, un massage relaxe. Mais est-ce que le stress s’en va réellement ? Douleur dans le dos ? Un anti-inflammatoire. Mais existe-t-il un anti-inflammatoire qui peut assurer qu’aucune douleur ne reviendra ?
Il n’existe que deux possibilités : soit l’être souffre, souffrira, rien ne pourra l’arrêter, soit, il faut chercher la raison derrière la souffrance et voir si on peut éliminer cette raison. Yoga, Samkhya, Vedanta… quelque soit l’école de philosophie en question : chaque école a cette même recherche : comprendre la vraie nature de l’être, arrêter la souffrance, s’approcher de la réalité ultime.
Mais quelle est la nature de cette réalité ?
ओं केनेषितं पतति प्रेषितं मनः केन प्राणः प्रथमः प्रैति युक्तः ।
oṃ keneṣitaṃ patati preṣitaṃ manaḥ kena prāṇaḥ prathamaḥ praiti yuktaḥ |
केनेषितां वाचमिमां वदन्ति चक्षुः श्रोत्रं क उ देवो युनक्ति ॥ १ ॥
keneṣitāṃ vācamimāṃ vadanti cakṣuḥ śrotraṃ ka u devo yunakti || 1 ||
Sous la volonté et la direction de Qui le mental illumine ses objets ? Sous la commande de qui le premier prana (vie/souffle) bouge ? De la volonté de qui prononçons-nous la parole ? Quel dieu est-il qui instruit les yeux et les oreilles ? – Kena Upanishad I.1
La réponse peut paraître simple : le cerveau. Oui, d’après ce que nous pouvons percevoir, c’est le cerveau qui commande à nos mains de bouger, à nos yeux de regarder, à notre bouche de s’ouvrir afin de parler, et même à nos poumons de respirer. Sans le cerveau, aucune fonction de corps n’est possible. D’ailleurs, aujourd’hui, la science considère que la conscience et l’esprit habitent dans le cerveau et sont une construction du cerveau.
Pourtant, cela pose un problème de logique : le cerveau a lui-même besoin de respirer et d’être nourri afin d’exister et de fonctionner. La question reste alors : Sous la commande de qui le premier prana (vie/souffle) bouge ?
La logique dicte que seulement celui qui n’a pas besoin du souffle pour exister aurait pu donner cette première commande. C’est cet « être », qui ne naît jamais, qui ne meurt jamais, qui existe et qui n’existe pas, qui est immuable et pur, que l’on appelle Purusha.
Qui suis-je ?
L’être souffre mais qui est l’être ? Est-il Purusha ? Est-il une construction de son citta ? Quand nous avons mal à notre pied, est-ce que c’est également l’âme qui a mal ? Est-ce que l’âme « croit » qu’elle a mal ? Bien que cette discussion soit plus appropriée dans les Sutras suivants, aborder ce sujet de ce qui constitue la personnalité de l’individu est néanmoins important afin de comprendre ces deux sutras.
A noter : pour faciliter cette discussion, nous allons rester au niveau d’un individu (un être humain) et pas au niveau cosmique.
L’âme est illimitée. Mais par la force des choses (l’entrave imposée par l’évolution du cosmos), elle est restreinte dans Prakriti. La présence de l’âme incite le Prakriti a évoluer. Comment Prakriti va évoluer va dépendre des samskara (les potentialités générées par le karma). Ce sont ces samskara qui vont déterminer le corps que j’aurai, le mental que j’aurai, chez qui je vais naître, etc. Par la suite, mes propres actions dans cette vie vont ajouter des nouveaux samskara sur le citta, déterminant ainsi la potentialité de mes actes suivants.
La vraie nature de l’être est Purusha. C’est la lumière de Purusha qui va construire la personnalité de l’être qui sera né. En passant par les Samskara des vies passées, cette lumière va déterminer la nature de son Buddhi (intellect), qui par la suite va déterminer la nature de son Ahamkara (l’égo), qui par la suite va déterminer la nature de son manas (mental) et ce manas va déterminer comment sera constitué le corps et le cerveau (à travers les doshas). C’est cet ensemble qui va déterminer la personnalité extravertie de l’individu.
De même, les actes et les expériences du corps/cerveau vont réfléchir sur le manas (et changer sa nature). Les expériences de manas vont réfléchir sur ahamkara et les expériences de ahamkara vont réfléchir sur buddhi, qui vont changer les samskara (ou les potentialités pour cette vie ainsi que pour les vies suivantes).
Mais la question se pose : est-ce que les changements dans buddhi (et les samskara) ont un impact sur Purusha ?
Il existe deux hypothèses pour cette question.
La première hypothèse dit que rien ne touche Purusha. Les changements (fluctuations/modifications) réfléchissent jusqu’au buddhi (et change les samskara) mais rien ne réfléchit sur Purusha.
Dans la deuxième hypothèse, on considère que Purusha est comme un cristal. Quand la lumière rouge réfléchit sur le cristal, le cristal se croit rouge. Quand la lumière jaune réfléchit sur le cristal, le cristal se croit jaune. Mais la vraie nature du cristal ne change pas. Il se confond simplement.
Cette deuxième hypothèse est souvent la plus populaire. Pourtant, elle représente un problème de logique : d’après Samkhya, Purusha est immuable. Et même le changement de couleur de Purusha, aussi temporaire qu’il soit, reste néanmoins un changement.
On ne peut alors pas se baser sur la deuxième hypothèse. Dit autrement, quand je souffre, ce n’est que mon buddhi (intellect) qui souffre, et pas mon âme. C’est juste que buddhi croit que l’âme souffre, mais l’âme reste complètement immuable.
Le lien purusha-prakriti.
Pourquoi est-ce que buddhi croit que l’âme souffre est une question intéressante. Et c’est ici que le commentaire de Vyasa est important. Vyasa voit le citta comme un aimant. Tout comme un aimant attire le fer vers lui sans vouloir, pareillement citta attire purusha vers lui à cause de sa proximité.
Le mot proximité demande quelques explications. Nous ne parlons pas ici de la proximité dans l’espace-temps. Purusha et Prakriti (non manifesté) existent en dehors d’espace-temps. Leur relation est la même que celui entre l’œil et l’objet présenté à l’œil. Sans l’œil, l’objet présenté à l’œil ne peut pas être vu. Sans l’objet, l’œil n’a rien à voir.
Purusha est la conscience. Prakriti est ce dont il est conscient. Ce lien entre les deux est sans début et sans fin. Dans ce lien, Purusha est le maître et Prakriti sa possession. Mais sans Prakriti, il n’a rien à posséder. Sans Purusha, Prakriti n’a aucune raison d’être. De même, Prakriti est la possession de Purusha mais également son entrave. Ce lien sans début est la raison de l’ignorance qui cause la souffrance. Ce lien ne peut pas être brisé, même suite à la mort. Ce n’est que quand Purusha est isolé de Prakriti (kaivalya) que ce lien se brise et Purusha se libère.
Mieux comprendre les deux sutras
Tant que les vritti ne sont pas dissolus, le locus entre buddhi et purusha apparaît comme étant le même. Cela vient du fait que Purusha et Prakriti (qui après évolution donne naissance à Buddhi) sont intimement liés l’un à l’autre. La perception (khyati) est alors possible. Et tant que cette perception reste possible, purusha continue de « voir ». Bien que ce soit Purusha qui soit le maître de buddhi (et le reste de citta), dans cet état, la distinction entre le maître et la possession apparaît comme étant inexistante (et donc l’identification avec les vritti de citta). Tant que ce lien reste, la souffrance continue.
Or, quand les vritti du mental ont été dissolus, purusha atteint kaivalya (solitude) et l’entrave de Prakriti (et donc l’ignorance, qui est la cause principale de souffrance) est brisée. A ce moment-là, Purusha a atteint la liberté. La conscience pure peut exister sans avoir besoin d’un objet dont il faut avoir la conscience. Dit autrement : la conscience se suffit à elle-même.
Bonjour j’apprécie beaucoup vos commentaires dont je m’inspire.
Je suis en fin de formation de professeur de Yoga et je suis en train de faire un mémoire sur les sutra II-15 et II-16.
Je voulais savoir si vous donnez des cours particulier car je ne peux pas venir le mercredi soir à paris.(j’habite à rambouillet dans les yvelines).ou si vous faites des stages.
Je vous remercie
Amicalement,
cécile
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Bonjour
Je souhaitais vous remercier pour la grande générosité et qualité de vos partages et de cette longue démarche d’explications autour des sutras de Patanjali. L’étude de texte est sans fin et passionnnante
Dans l’enseignement que j’ai reçu on se base sur votre 2ème hypothèse, mais c’est vrai que concrètement je pense m’en tenir au fait (comme lors d’une pratique) d’oublier le but et de tenter à ma mesure, petits pas par petits pas (avec mes pas de côté, puis en arrière, je reste un être humain encore prisonnier de ses croyances) à cheminer vers plus de calme intérieur.
Merci
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