Sutra I.13-14 La pratique de Yoga

La pratique de Yoga et son importance

तत्र स्थितौ यत्नोऽभ्यासः॥१३॥
स तु दीर्घकालनैरन्तर्यसत्कारासेवितो दृढभूमिः॥१४॥
tatra sthitau yatno-‘bhyāsa 13
sa tu d
īrghakāla nairantarya satkāra-āsevito dr̥habhūmi ॥14॥

Entre (la pratique et le non-attachement), l’effort vers la calme et l’équilibre (de citta) s’appelle la pratique. (13)
Cette pratique pourtant s’installe fermement uniquement poursuivi et maintenu avec l’observance assidu et complet pendant longtemps, sans interruption et avec dévotion. (14)

Commentaire de Vyasa

Calme et stabilité (sthiti) signifie un citta (champ du mental) qui coule paisiblement et sans vritti (fluctuations). L’effort est de mettre l’énergie (virilité/force/vigueur) et l’aspiration (l’enthousiasme/fortitude) pour nous amener vers cet état. La pratique (l’entrainement) est l’observance des moyens qui nous amèneront vers cet état et la volonté de l’atteindre.

Assidument entrepris pendant longtemps, sans interruption et avec dévotion ; cette partie est réussit à travers l’observance ascétique/purificateur (tapas), la voie de brahma/sattva (brahmacarya), la connaissance (vidya) et dévotion. A ce moment cette pratique s’installe fermement, c’est-à-dire cet état (de sthiti) n’est pas vaincu par les habitudes extraverties de citta.

Discussion

Dans le dernier sutra, nous avions parlé des deux piliers qui amènent à la dissolution des vritti (fluctuations). Dans ces deux sutras, Patanjali définit ce que c’est abhyasa ou la pratique avant d’ajouter comment cette pratique doit être entrepris.

Aujourd’hui, dès que nous pensons à Yogabhyasa (la pratique de Yoga), nous avons tout de suite l’image des multiples yogasana que l’on répète sans cesse. Mais est-ce que c’est ce que souhaite dire Patanjali ?

Le mot qu’utilise Patanjali est sthiti. Ce mot peut être traduit dans multiples façon. D’un côté, cela veut dire être droit/debout, rester dans l’état ou demeurer. De l’autre, c’est aussi maintenir la discipline, s’établir et se maintenir dans une voie de vertu. Vyasa explique ce mot mieux : « Calme et stabilité (sthiti) signifie un citta (champ du mental) qui coule paisiblement et sans vritti (fluctuations). » Pourtant, depuis quelques temps, je me suis mis à considérer que l’utilisation de ce mot (sthiti) est trop ouverte à l’interprétation.

Pour quelqu’un qui connait la philosophie indienne et qui a pris le temps de comprendre les préceptes d’Ayurvéda ; le mot sthiti est suffisant pour passer le message. Cependant, si ce n’est pas le cas, ce même mot peut être interprété d’une manière exactement l’inverse. Après tout, si vous avez déjà pratiqué une activité sportif intense, l’euphorie qui le suit est tellement proche de l’état de calme et stabilité. On n’arrive à penser à rien ! Alors quand Krishnamacharya (et beaucoup de « yogi » moderne) nous incitent vers une pratique dure des asanas ; est-ce qu’ils nous amènent vers cet état de sthiti ? Quand les hathayogi d’autrefois passaient des heures dans les pratiques énergétiques ; est-ce qu’ils s’approchaient de l’état de sthiti ? A la fin d’un marathon, le mental semble être dans un état où il n’y a aucune fluctuation !

A se rappeler ici : l’effet de tamas sur l’esprit peut paraitre exactement similaire à la paix intérieure née des pratiques sattvic. Comme est souvent dit : Ignorance is bliss. Pourtant, quand on juxtapose ce sutra avec les commentaires précédents, il est assez clair que le sthiti dont parle Patanjali est basé sur pramana (les preuves qui amènent vers une cognition réelle).

…qui coule paisiblement et sans vritti (fluctuations).

Cette phrase de Vyasa a toujours incité un grand débat chez les commentateurs sur les Yoga Sutras. Certains commentateurs considèrent que Vyasa définit sthiti comme un état où tous les vritti (fluctuations) du mental sont dissolus. D’autres commentateurs considèrent que quand les vritti klishta (ceux qui causent la souffrance, c’est-à-dire les vritti nés de rajas et tamas guna) sont dissolus.

Mon avis personnel est que l’état de sthiti est relatif à l’expérience du pratiquant. Chaque vritti qui est dissolu amène l’état de sthiti qui perdure soit jusqu’à ce que le pratiquant se rend compte de présence des autres vritti, soit jusqu’à ce que le pratiquant laisse-tomber la pratique, et les anciens vritti reviennent.

L’effort est de mettre l’énergie (virilité/force/vigueur) et l’aspiration (l’enthousiasme/fortitude) pour nous amener vers cet état.

Vyasa utilise deux mots ici qui ont besoin d’être mieux définit : viraya et utsaha.

Le mot viraya vient de vira – ou le brave, le courageux, l’héro. Utsaha signifie l’enthousiasme et une attitude positive.

Vous m’avez parfois entendu dire que Yoga est la voie des courageux. Quand les choses vont mal, quand il y a des échecs, on ne se laisse pas abattre. On se ressaisit et on attaque la pratique de nouveau avec vigueur, intensité et l’enthousiasme. Parce que quand on démarre, l’échec est attendu. D’ailleurs, au début, il est tout à fait normal d’avoir l’impression de faire un pas en avant, et quatre en arrière ! Mais si à ce moment on se laisse abattre, on laisse les doutes se manifestaient et on baisse les bras ; la pratique (abhyasa) ne pourra jamais s’installer fermement.

La pratique (l’entrainement) est l’observance des moyens qui nous amèneront vers cet état et la volonté de l’atteindre.

Qu’est ce qui nous amènera vers l’état de sthiti ? Une pratique sattvic (qui augmente les niveaux de sattva dans notre esprit). Dans le deuxième chapitre, Patanjali va mettre en place les 8 piliers de la pratique de Yoga et nous les discuterons le moment venu. Ici, je vais plutôt me concentrer sur vous donner une idée de quel style de pratique s’agit-il ; que ce soit Yoga, ou que ce soit d’autres voies spirituelles (et peut être aussi de vous permettre de mieux comprendre le processus de pensée qui a donné naissance aux voies comme Yoga).

Le grand problème est la souffrance. Quand l’individu souffre, il s’accroche à son égo. Il n’arrive pas à discerner entre ce qui est vrai et ce qui est faux. Il est tellement concentré sur son souffrance (et la recherche des solutions de souffrances) qu’il ne fait que réagir aux situations.

La seule manière valable de vraiment arrêter la souffrance est la cognition réelle ou le discernement. Pour cela, il est important d’agir sur tous les plans de la vie :

  • Physique : pour assurer que le corps soit en bonne santé à travers une nutrition réfléchie, exercice physique, et une respiration lente et profonde.
  • Psychologique : pour assurer que le mental reste sous contrôle de la volonté (et pas vice versa). Pour cela, il est important que la vie sociale, affective, énergétique et matérielle soit en règle. C’est-à-dire s’entourer des personnes qui nous aide à avancer, agir d’une façon qui ne nous cause pas de conflit interne, être bien ancré, maitriser les émotions, surmonter nos peurs, enlever nos tabous et agir à travers ce qui doit être fait (au lieu d’à travers les désirs et les peurs/aversions).
  • Intellectuel : Prendre le temps de bien comprendre le pourquoi du comment, distinguer entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Donc l’étude de logique, l’étude des textes fiables.

L’intégralité des pratiques (Tantra, Tao, Yoga, Vedanta, Védique) que j’ai eu l’occasion d’expérimenter tenaient ces règles en compte. Et ensuite, il s’agissait de la volonté du pratiquant pour ne pas céder à ses émotions, à ses désirs du moment, afin d’assurer le progrès dans la pratique.

Assidument entrepris pendant longtemps, sans interruption et avec dévotion ; cette partie est réussi à travers l’observance ascétique/purificateur (tapas), la voie de brahma/sattva (brahmacarya), la connaissance (vidya) et dévotion.

Nous vivons dans une société où nous voulons tout, tout de suite. On ne cesse de chercher des pilules miracles (ironiquement, ceux qui les cherchent vraiment travaillent assidument et pendant des années afin de pouvoir les fabriquer !). Pourtant, chaque fois une vritti est dissolu, on a l’impression d’avoir réussi. Mais peu de temps après, on se rend compte de la présence d’une nouvelle vritti, et le combat démarre de nouveau !

Sans patience, sans volonté, sans rigueur, le voie de Yoga cesse d’exister. Sans dévotion à la pratique (la pratique est toujours vue comme étant sacré), l’enthousiasme diminue rapidement. Mais qu’entendons par longtemps ? Quelques semaines ? Quelques mois ? Quelques années ? Je vais laisser Bhagavad Gita répondre :

प्रयत्नाद्यतमानस्तु योगी संशुद्धकिल्बिष: |
अनेकजन्मसंसिद्धस्ततो याति परां गतिम् || 45||

prayatnād yatamānas tu yogī sanśhuddha-kilbiha
aneka-janma-sansiddhas tato yāti parā gatim

Avec les mérites accumulés durant les nombreuses naissances passées, lorsque que ces yogis s’efforcent sincèrement dans l’effort (vers le nouveau progrès), ils se purifient des désirs (matériels) et atteignent la perfection dans cette vie même.

A ce moment cette pratique s’installe fermement, c’est-à-dire cet état (de sthiti) n’est pas vaincu par les habitudes extraverties de citta.

Yoga peut très bien être vu comme un combat interne. L’esprit cherche sans cesse à s’extravertir. Yoga l’amène à regarder vers l’intérieur. Il est alors tout à fait normal que le progrès ne soit pas linéaire ! On progresse. On atteint l’état de sthiti. Mais ensuite, le citta est de nouveau extravertie (soit parce que l’on s’est félicité trop tôt et on a arrêté la pratique, soit à cause d’un événement externe). Ce n’est qu’une fois la pratique a eu le temps de s’installer fermement (c’est-à-dire après plusieurs années, vies de pratique) que l’état de sthiti peut perdurer malgré l’extraversion du mental. C’est à ce moment là que l’on dit que la personne est devenue Yogi.

A retenir :

  • Le but de la pratique est d’atteindre un état de stase où l’esprit n’est plus influencé par les vritti.
  • Cette pratique se base sur l’augmentation de niveau de sattva dans l’esprit, la vraie connaissance, la rigueur, la discipline et la dévotion à la pratique.
  • Cette pratique doit être entrepris avec l’enthousiasme et sans jamais se laisser abattre si les résultats ne viennent pas.
  • Ce n’est qu’après plusieurs années/vies de pratique que yoga pourra s’installer assez fermement.

Publié par

Pour moi, le Yoga est un voyage qui a démarré quand j'étais à peine adolescent... mais ce n'était pas le Yoga tel qu'il est pratiqué de nos jours. Il s'agissait surtout d'un art de vivre, une quête vers le Soi, un désir de s'interroger. Aujourd'hui, à travers Abhisaran, j'essaie de transmettre cette approche globale et holistique du yoga qui travaille à la fois le corps, la psyché et l'esprit, tout en s'appuyant sur l'Ayurvéda et le Tantra.

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