Dans Mahabharata, quand les princes qui deviendraient les protagonistes de l’épique étaient jeunes, ils s’entrainaient tous sous la surveillance de Dronacarya. Un jour Dronacarya demande à tous les princes de se rassembler devant un arbre pour un cours de tir à l’arc. Sur un des branches de cet arbre, Dronacarya avait placé un oiseau en bois. Dronacarya demande au premier prince de s’approcher et prendre l’arc. Quand le prince est prêt à tirer, il lui demande : « Qu’est-ce que tu vois ? »
« Je vois l’oiseau, » lui répond le jeune prince, « je vois les feuilles autour de l’oiseau, la branche, l’arbre, le ciel bleu derrière et les nuages dans le ciel. »
« Alors ce n’est pas la peine de tirer, » lui dit Dronacarya.
L’un après l’autre, tous les princes prennent l’arc à leur tour. Dronacarya leurs pose la même question mais ne donne pas la permission à tirer à ses élèves. Vers la fin, c’est le tour d’Arjuna.
« Qu’est-ce que tu vois ? » lui demande Dronacarya quand il est prêt à tirer.
« Je ne vois que l’œil de l’oiseau, » lui répond Arjuna.
« Tu ne vois pas les feuilles de l’arbre ? »
« Non. »
« Et les plumes de l’oiseau ? »
« Non plus. »
« Sa tête ? »
« Je ne vois que l’œil, » dit Arjuna.
« Alors tire… » lui dit Dronacarya.
C’est de cette intensité de concentration dont nous parlons quand il s’agit des pratiques méditatives décrites dans les textes yogiques. Quand cette concentration intense devient fluide, ne demande plus aucun effort de la part du pratiquant, l’état méditatif en suit. (Cf : Yoga Sutra III.2) Mais comment développer cette concentration ? Parmi les outils clés est kaya sthairyam (kaya = corps sthairyam = immobilité) car tant que le corps bouge, l’esprit ne peut jamais être complètement calme.
Comment pratiquer Kaya Sthairyam :
- Prenez une position assise dans laquelle vous êtes confortable. Traditionnellement, les asanas comme Padmasana, Siddhasana, Sukhasana ou Vajrasana sont conseillées. Mais si vous n’êtes pas confortable assis par terre, vous pouvez également vous asseoir sur un tabouret ou sur le bout d’une chaise. Quelle que soit la posture que vous choisissez, il est important que :
- Le dos reste droit (pas cambré vers l’arrière ni arrondi vers l’avant).
- Les épaules en arrière et loin des oreilles, mais relaxées.
- La tête légèrement penchée vers l’avant (très légèrement).
- La posture doit être assez confortable que vous puissiez faire tout cela sans l’effort et sans risque de blessure.
- Placez vos mains sur les genoux avec le doigt index en contact avec le pouce et les trois autres doigts étendus. Fermez vos yeux et prenez conscience de votre souffle.
- Comptez 4 souffles, lents et profonds, et amenez votre conscience dans votre corps. Concentrez vous sur l’asana que vous avez prise pour méditer. Sentez l’équilibre entre la droite et la gauche, entre l’avant et l’arrière du corps. Concentrez vous sur l’équilibre de vos bras et de vos jambes.
- Maintenant visualisez votre corps comme si vous étiez en dehors de lui. Visualisez-le de l’arrière, de devant, de gauche et de droite, du bas comme si vous étiez dans le sol et du haut comme si vous étiez dans le ciel. Essayez de vous voir des 6 côtés en même temps.
- Laissez le bas de la colonne vertébrale s’enfoncer dans le sol tout en gardant la longueur dans la colonne vertébrale. Visualisez que vous êtes un arbre. Vos jambes sont les racines. La colonne vertébrale est le tronc de cet arbre. Vos bras, votre tête sont les branches. Votre corps est maintenant enraciné dans la terre. Faites un vœu : « A partir de maintenant, je ne vais plus bouger. »
- Prenez conscience des diverses sensations que vous pouvez ressentir dans le corps. Sentez-vous de la chaleur ? Du froid ? Des tensions ? Rigidité ? Concentrez votre attention sur ses sensations. Si les pensées commencent à s’incruster, ramenez votre attention sur les sensations du corps.
- Maintenant, concentrez votre conscience un membre de votre corps. Commencez par votre tête. Le cou. Les épaules. Le bras droit, le bras gauche. L’abdomen. Le dos. Les fessiers. La jambe droite puis la gauche séparément. Chaque fois votre attention divague, ramenez-la sur les sensations que vous ressentez dans un membre de votre corps.
- Sentez votre corps se rigidifier. Comme si vous n’étiez plus assis par terre… mais vous êtes maintenant la terre. Vos muscles sont comme de la pierre. Même si vous le vouliez, vous ne seriez plus capable de bouger. Plus aucune sensation n’existe dans votre corps. Comme une statue de pierre, vous ne ressentez plus rien.
- Plus le corps devient rigide, plus il sera difficile de garder la conscience dans le corps. Concentrez vous alors sur votre souffle. Observez le souffle qui rentre dans le corps. Observez le souffle qui s’en va. Observez, mais n’analysez pas. Ne changez rien. Simplement suivez votre souffle. Laissez un rythme naturel de respiration s’installer et continuez de le suivre.
Après un certain temps, la conscience va commencer à vaguer entre le corps et le souffle. Laissez-la faire. La partie effort est maintenant terminée. Peu à peu, votre souffle va ralentir et se prolonger. Il deviendra de plus en plus subtil. Tout comme votre corps, l’esprit aussi deviendra « presque » immobile et la tranquillité va s’installer. Le souffle va ralentir. Vous aurez l’impression de ne presque plus respirer. C’est l’état de Kaya Sthairyam. Et toutes les méditations/concentrations décrites dans les textes yogiques/tantriques ou encore des upanishad doivent être pratiquées dans cet état.
Comment revenir de Kaya Sthairyam :
Concentrez votre conscience d’abord sur les pieds, ensuite sur les bras et finalement sur le battement de votre cœur. Sentez le cœur battre et pomper le sang dans le corps. Sentez ce sang traverser les veines et les artères et aller jusqu’à chaque extrémité. Chantez le mantra « Aum » trois fois avant d’ouvrir vos yeux. Redressez vos jambes pour qu’elles soient toutes droites. Tirez les rotules vers le haut pour aligner les genoux. Soulevez-vous lentement.