Yoga Sutra III.1-8 – Samyama

Ce qui suit a été écrit pour le cours du lundi de l’atelier des apprentis yogis : 

1-4 : Qu’est-ce Samyama
देशबन्धश्चित्तस्य धारणा॥१॥

deśa-bandha cittasya dhāraā 1

Concentrer/fixer/entraver l’esprit dans un seul point est dharana (la concentration).
तत्र प्रत्ययैकतानता ध्यानम्॥२॥

tatra pratyaya-ikatānatā dhyānam 2

La continuation de (cette concentration) est la méditation
तदेवार्थमात्रनिर्भासं स्वरूपशून्यमिव समाधिः॥३॥

tadeva-artha-mātra-nirbhāsa svarūpa-śūnyam-iva-samādhi 3

Lorsque cela (la méditation) n’a conscience que du sujet (de la concentration), (le mental) s’étant purgé de sa propre nature, ceci est samadhi (absorption).
त्रयमेकत्र संयमः॥४॥

trayam-ekatra sayama 4

Les trois ensembles s’appellent Samyama.

Ayant décrit les outils externes (yama, niyama, asana, pranayama et pratyahara) dans le Sadhana Pada (deuxième chapitre) et le Samadhi durant le Samadhi Pada (premier chapitre) ; Patanjali nous parle maintenant des pratiques internes (qui, très souvent, sont considérées comme étant la vraie pratique Yogique). Ces pratiques internes sont dharana (la concentration), dhyana (la méditation) et samadhi (l’absorption) qui, ensemble, sont appelés Samyama (Sam = avec, yama = restreindre).

Dharana (धारणा)

Le mot धारणा vient de la racine धृ (dhṛ) qui peut être traduit comme « porter ». On peut alors traduire dharana comme tenir, retenir, garder, stocker ou encore, bien entendu, la concentration. Mais cet aspect de « stocker » ou « garder/retenir » est très important quand il s’agit de la pratique de dharana.

Citta c’est notre mental. Le mot citta peut être traduit comme « penser, la pensée, la mémoire, la raison, le mental (et parfois aussi le cœur dans son sens figuratif), l’intention. Mais il n’est pas toujours possible de le traduire simplement comme « le mental ». Afin de mieux comprendre le citta, pensez à cela comme étant un mélange de :

  • Manas (l’esprit « actif ») qui reçoit les sensations et réagit à ces sensations.
  • Buddhi (l’intelligence) qui est un mélange d’intellect et intuition, et qui amène le pouvoir de la discrimination.
  • Ahamkara (l’égo) qui permet de dire « je suis » et mettre en place la possessivité.

Notre citta a également sa propre énergie (citta shakti) et dépendant du stade d’évolution de la personne, cette énergie (et donc notre mental) existe dans 5 états différents :

  • Ksipta ou distrait/éperdu, l’état dans lequel on a du mal à se concentrer/décider et notre attention va de gauche à droite rapidement.
  • Mudha ou entiché, l’état dans lequel la prédominance de tamas va ralentir/intoxiquer l’esprit (et va souvent donner de la violence émotionnelle).
  • Viksipta ou un mental qui arrive à se focaliser pendant quelque temps mais en grande partie reste sans focus/concentration.
  • Ekagra ou la concentration intense qui permet de se focaliser sur un objet sans problème.
  • Niruddha ou « contenu »/restreint où le pratiquant a réussi à cesser tous les processus mental, y compris l’inconscient.

A noter ici : la psychologie moderne se concentre typiquement sur les deux premiers états de citta. Mais les textes yogiques ne parlent pas du tout de ces deux états. Ils sont considérés comme étant la source de toute souffrance. Le travail Yogique ne peut commencer qu’une fois l’esprit est dans Viksipta. Et traditionnellement on ne va pas se concentrer sur pourquoi l’esprit est dans Ksipta ou Mudha, on va surtout chercher la meilleure solution pour enlever ces deux états – ce qui se passera toujours à travers la discipline, rigueur et la volonté.  

Dharana est alors la pratique d’entraver citta shakti dans un espace limité afin de développer ekagra. Mais l’endroit où on concentre l’esprit a une grande importance aussi. Que ce soit les Yoga Sutras, le Sankhya, le Bhagavad Gita, les Upanishad ou encore les Védas : tous les textes anciens sont en accord sur un point : si la vérité existe, elle est à l’intérieur de nous. Si Dieu existe, il est à l’intérieur de nous. Si le bonheur est possible, il se trouvera également à l’intérieur de nous. Le corps alors (sans parler du monde externe) n’est que le début de la pratique de dharana. Un yogi cherche à éplucher son corps physique afin de trouver les corps subtils et ce qui transcende ces corps subtils : le Purusha. Dharana traditionnelle se concentre sur l’intériorisation (bien que quand on débute, on va démarrer avec le corps, les processus du cerveau et la pensée) de citta afin de l’entraver dans akasha (l’espace/l’éther) qui existe entre les différents corps/plans d’existence.

Dhyana (ध्यान)

Dhyana vient de la racine ध्यै (dhyai) qui veut dire : contempler/méditer/penser à propos de. Bien qu’aujourd’hui le mot « méditation » soit souvent utilisé comme un verbe « actif », traditionnellement, c’est vu comme un état passif qui vient à la suite d’une concentration intense sans-interruption sur l’objet.

Prenons un exemple. On s’assoit et on se concentre sur notre cœur. Au bout d’un temps, les pensées vont commencer à s’incruster dans notre concentration et au lieu d’entendre les battements de notre cœur, on va voir un fil de pensées se dérouler devant nous. Souvent, on a tendance à le voir comme étant une transe méditative. Mais traditionnellement cela montre que l’esprit est dans un état de soit Ksipta soit Viksipta. De même, si durant la concentration, on se pose la question « pourquoi notre cœur bat à tel ou tel rythme ? », etc., cela restera un processus actif du mental, et ne sera pas vu comme étant dhyana dans son sens traditionnel.

En contrepartie, si on se concentre sur le cœur, si au bout d’un temps tout le reste (tous les autres sens cognitifs) cessent d’exister et on n’entend que le cœur, et si on arrive à garder cette concentration sans interruption et sans effort ; les processus plus subtils de notre mental (lié à l’observateur/l’âme) vont se déclencher et essayer de « comprendre » le processus de battement du cœur. C’est ce qui sera appelé dhyana car cette contemplation est à la fois intellectuelle et à la fois para-intellectuelle.

Samadhi (समाधिः)

Samadhi vient de deux mots : « sam », qui veut dire « ensemble, d’une manière uniforme » et « adhi » qui veut dire « s’établir ». Quand l’observateur s’établit dans l’objet de sa méditation, quand l’observateur et le processus de l’observation cessent d’exister, cela s’appelle samadhi.

Afin de mieux comprendre Samadhi, il est important d’aborder le sujet de la conscience et son lien avec le citta. Parmi les divers facultés internes du citta (l’égo, le mental et l’intellect), c’est l’intellect qui est le plus proche de la conscience pure (l’âme) de l’être. L’intellect a deux faces. La première face est tournée vers l’intérieur (donc sur l’âme) et la deuxième vers l’extérieur (donc sur l’égo et le mental). C’est la faculté de discrimination de l’intellect qui sert de lien entre la conscience (l’âme) et le reste de la personnalité de l’être.

Cet intellect (buddhi) étant le premier manifesté lors d’évolution de prakriti (la nature primordiale), il est illuminé par la lumière de sattva guna. C’est à travers cette lumière que la conscience va observer le reste de l’être. (On peut faire une analogie ici avec les rayons du soleil qui passent à travers un cristal – le soleil sera l’âme, ses rayons le sattva guna, et l’intellect le cristal.) Bien que l’âme (le Soi) soit pure, son observation dépendra des guna présents dans l’intellect (donc la qualité du miroir). Le plus ce miroir est prédominant dans tamas ou rajas guna, le plus la lumière sera déviée et détournée. La perception de l’âme de l’objet de l’observation sera aussi « faussée » du fait que sa lumière n’arrive pas à complètement illuminer l’objet (et donc il ne voit que des petits bouts de l’objet).

Prenons un autre exemple. Imaginons que l’on entre dans une pièce que l’on n’a jamais visitée. Que cette pièce soit remplie d’objets que l’on n’a jamais vu auparavant. Que cette pièce soit complètement noire (tamas) ou que la lumière ne cesse de bouger et n’illumine que des toutes petits parties de la pièces (rajas) ; arriverons-nous à réellement avoir une bonne idée de la pièce et des objets dans cette pièce ?

Mais si, en contrepartie, la lumière était parfaite (dharana), restait allumée tout au long (dhyana), ne sera-t-il pas plus facile de savoir tout ce qui est présent dans la pièce ? C’est cela qui est Samadhi.

5-10 : La voie du nirbija Samadhi
तज्जयात्प्रज्ञालोकः॥५॥

tajjayāt prajñāloka 5

A travers le succès (de Samyama) se manifeste la visibilité de cognition.
तस्य भूमिषु विनियोगः॥६॥

tasya bhūmiṣu viniyogaḥ ॥6॥

Son application est sur les (divers) plans.
त्रयमन्तरङ्गं पूर्वेभ्यः॥७॥

trayam-antaranga pūrvebhya 7

Ces trois (les trois parties de Samyama) sont plus intimes (internes) que les (5 membres du yoga) précédents.
तदपि बहिरङ्गं निर्बीजस्य॥८॥

tadapi bahiraga nirbījasya 8

Mais même ces trois ne sont pas assez intime (interne) pour le Nirbija (sans objet).

Si le Sadhana Pada se concentrait sur les pratiques externes du Yoga (qui sont vues comme les pratiques préparatoires), maintenant on entre dans le vif du sujet avec les pratiques internes. Le but d’un Yogi est d’enlever les modifications qu’apporte le mental à la réalité, pour que la lumière de Sattva guna puisse illuminer l’objet de l’observation. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut voir l’intégralité de l’objet et réellement comprendre sa vérité.

Etape par étape.

Ces trois pratiques internes sont toujours utilisées ensemble (d’où le terme technique de samyama). Dharana est le processus actif. Dhyana et Samadhi sont les processus passifs. Mais la clé pour réussir ces trois processus est d’aller étape par étape. C’est-à-dire, la pratique démarre en se concentrant sur un plan d’existence. Quand l’être a atteint samadhi avec ce plan d’existence, il va tourner sa concentration sur un plan d’existence plus subtil. Pour prendre un exemple, on va démarrer la pratique avec le Muladhara chakra. Quand on a transcendé le Muladhara, on ira vers Svaddhishthana et ainsi de suite.

Mais même cela n’est pas suffisant…

Ce processus de Yoga avec les divers plans d’existence va continuer jusqu’à ce que l’on ait atteint le plan d’existence le plus subtil. Mais pour connaitre Brahman/Conscience Suprême, ce processus s’avère insuffisant. Car Brahman/Conscience Suprême transcende les plans d’existence même les plus subtils. Sa vraie nature est nirbija (sans germe/sans objet). Et pour atteindre l’union/l’absorption dans le Brahman, une fois on a atteint le plan le plus subtil, le « vrai » travail démarre à travers la concentration sur la transition des Samskara. Afin de comprendre cela, il est important d’aborder le sujet de Samskara, réincarnation et la transition/moment présent.

A noter : ce qui suit sort de cadre des textes yogiques et se base sur Véda et Tantra ainsi que ma pratique personnelle. On traite ici des sujets difficiles à aborder et extrêmement complexe que l’on approfondira au fur et à mesure dans les cours. Ce qui suit est surtout une explication simpliste de ces concepts.

Samskara

Le mot que je trouve le plus proche de Samskara en français sera « la potentialité ». Chaque acte (karma) que nous faisons engendre sa propre causalité et les impressions restantes de ces actes donnent la potentialité d’un nouvel acte. Si on essaie de simplifier ce concept, on peut utiliser l’exemple des publicités. Disons qu’hier soir, vous aviez vu une publicité où une personne bien assoiffée prend une bouteille de coca et, l’ayant bu, est remplie de contentement. Le lendemain, vous avez soif. Vous cherchez autour de vous pour quelque chose à boire. Il est fort probable (je dis ici probable car pour simplifier je me concentre uniquement sur une impression latente, tandis que l’être est formé de plusieurs impressions latentes) que vos mains se dirigent presque automatiquement vers une bouteille de coca bien fraîche !

Ces samskara existent sur plusieurs échelles. Là, on a parlé des samskara « grossiers » (ceux qui sont les plus proches de notre mental). Mais non seulement notre corps physique, mais également nos corps subtils et notre corps causal sonten train d’acquérir les samskara tout au long de notre existence (à travers les expériences). Et non seulement dans cette vie, mais également certains samskara subtils des anciennes vies restent dans les corps causal/subtils.

Réincarnation

Quand l’être meurt, son corps physique se dissout et les éléments primordiaux grossiers (mahabhuta) s’intègrent dans le reste du cosmos. Les samskara liés à ce corps physique s’en vont aussi. Mais le voyage des corps subtils (dont l’égo, le mental et l’intellect) continuent même après la mort physique. Ce voyage va amener l’être sur les divers plans d’existences (loka), qui, en Hindouisme, sont vus comme étant existant dans un autre espace-temps. Plusieurs variables (dont le karma de la vie passé) vont jouer sur le parcours et l’expérience de l’être dans ces plans. Ce parcours et l’expérience vont aider à dissoudre certains des corps subtils ainsi que les samskara liés à ces corps subtils.

A noter : si vous vous êtes déjà demandé pourquoi les rites funéraires hindous étaient si complexes, ou pourquoi on continue de faire les rituels pour les morts des années et des années après la mort de la personne – c’est lié à ça. Ces rites sont faits pour assurer que les samskara sont nettoyés et l’être trouve la paix dans la mort et une vie aussi peu pesée par les samskara que possible durant la prochaine réincarnation.

Après un certain bout de temps (qui dépend de nouveau de plusieurs variables qui seront trop long à énumérer ici), l’être se réincarne. Sauf dans de rares cas, il ne se souvient ni de ses anciennes vies ni de son parcours dans les différents plans. Mais tous les Samskara qui n’ont pas été nettoyés (et ils ne sont jamais entièrement nettoyés sauf si la personne a atteint Nirbija Samadhi) vont être parmi les facteurs déterminants pour sa prochaine vie.

Si je schématise : sous l’hypothèse que l’âme est la lumière, les samskara alors seront les « poids » placés sur l’âme qui dirige la direction de cette lumière.

Le pouvoir du Maintenant – la clé de comprendre la transition en hindouisme.

Très souvent, parler des samskara est vu comme un signe que rien n’est entre nos mains, et tous nos actes sont dirigés par des forces que l’on ne contrôle pas. Mais c’est loin d’être le cas. Dans la philosophie Hindoue, le déterminisme (à travers les samskara) et libre-arbitre ne sont pas vu comme étant fondamentalement opposés. Plutôt ces deux coexistent. Comment ? La clé est la « transition ».

Les samskara déterminent la situation dans laquelle l’être va se trouver. Mais il est important de comprendre que la causalité dans l’hindouisme n’est pas linéaire. Le cosmos ne cesse de se répéter. Chaque moment se manifeste directement du Brahman et chaque moment se dissout dans le Brahman. Il n’y a, alors, que le présent car le passé a disparu et l’avenir n’est pas encore crée. Ce que fait chaque être dans le « moment » est entièrement dans ses mains – s’il est capable d’être conscient du moment et de ses samskara (ou les forces qui agissent sur lui).

Ce moment aussi va de plus subtil vers le plus grossier. La vie n’est que le changement mais certains n’aperçoivent ce changement qu’à travers plusieurs mois ou plusieurs années. D’autres sont conscients de la transition de chaque seconde. Et c’est ce moment de transition qui est la clé de Nirbija Samadhi ou l’absorption dans la réalité qui est Brahman.

Nirbija Samadhi

Il n’est pas possible de se concentrer sur ce qui n’est pas (donc sur le Nirguna Brahman – ou le Brahman encore non-manifesté). Mais il est tout à fait possible de se concentrer sur l’instant de la transition. C’est également la clé pour enlever les samskara existants.

Cet instant, dans son niveau le plus subtil, est calculé comme étant d’un truti. Un truti est calculé comme étant environ 0,031µs (microseconde).

A noter : 1 microseconde = 1 × 10-6. Ou 0,000001 seconde.

Pour atteindre le Nirbija samadhi, ayant déjà atteint le Samadhi avec le plan d’existence le plus subtil, un yogi va se concentrer sur ce moment de transition jusqu’à ce que ce moment de transition soit tout ce qui existe.  

Publié par

Pour moi, le Yoga est un voyage qui a démarré quand j'étais à peine adolescent... mais ce n'était pas le Yoga tel qu'il est pratiqué de nos jours. Il s'agissait surtout d'un art de vivre, une quête vers le Soi, un désir de s'interroger. Aujourd'hui, à travers Abhisaran, j'essaie de transmettre cette approche globale et holistique du yoga qui travaille à la fois le corps, la psyché et l'esprit, tout en s'appuyant sur l'Ayurvéda et le Tantra.

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