Anna est de nature soucieuse. Elle cogite sans cesse et a beaucoup de mal à trouver le sommeil. Sa santé commence à prendre un coup. Elle parcourt l’internet à la recherche de solutions. Elle tombe sur un site web qui lui propose le nouveau régime détoxifiant « ayurvédique » de choc qui va enlever toutes les toxines de son corps, la déstresser, l’aider à dormir et l’embellir. Elle s’inscrit tout de suite. Au début, ça marche à merveille. Mais quelques mois plus tard, les problèmes redémarrent et cette fois ci, en plus elle a de fortes douleurs au niveau de ses articulations.
Anna est un personnage fictif. Mais je vois la démarche d’Anna se répéter régulièrement autour de moi. Ces régimes tendances deviennent de plus en plus populaires. Mais sont-ils réellement basés sur l’ayurvéda ? Est-ce qu’ils nous font vraiment du bien ? Et quels sont les effets secondaires de ces régimes sur le long terme ?
Une des raisons pour laquelle ces régimes et ces détox attirent l’œil se trouve dans la mécompréhension de ce que c’est l’énergie. La pensée courante nous enseigne que l’énergie est ce que nous voulons qu’elle soit. De plus on englobe tout sous la même bannière d’énergie. Pourtant, l’énergie existe sous différentes formes dans notre corps. Elle a des fonctions spécifiques et précises. Et ce qui fait accroitre une forme d’énergie peut facilement nuire une autre.
Les trois énergies : Ojas, Tejas et Prāna
En ce qui concerne notre organisme, l’ayurvéda nous parle de trois énergies distinctes : ojas, tejas et prāna. Dans un dernier article, j’évoquais le sujet des dosha dont le déséquilibre est la cause des maladies. Ces trois énergies sont l’essence des trois dosha. L’énergie subtile de kapha dosha s’appelle Ojas, celle de pitta dosha s’appelle Tejas et celle de vāta dosha se nomme Prāna. Si l’hyperactivité des trois dosha est derrière la maladie, accroître ces trois énergies n’amènent que de la bonne santé. Néanmoins, il est important de les accroître de façon équilibrée car non seulement ces énergies sont liées, mais elles sont aussi interdépendantes.
Ojas est notre « élan vital ». Il existe deux formes d’Ojas dans le corps. Le premier est para ojas qui rentre dans le corps au moment de conception. Ojas réside dans le cœur et permet la manifestation de prāna dans l’organisme (permettant ainsi à la vie de se manifester). Apara ojas trouve son siège également dans le cœur, mais à travers 10 canaux liés au cœur, il bouge dans l’intégralité du corps. C’est apara ojas qui est derrière notre bonne (ou mauvaise) santé car notre stabilité émotionnelle, notre système immunitaire et la santé de nos dhātu et nos organes internes sont tous dépendants de apara ojas.
Le transfert d’apara ojas du corps de la mère au fœtus se fait durant le septième mois de la grossesse. Pendant que l’enfant est encore dans le ventre de la mère, c’est ojas de la mère qui va le nourrir. Mais une fois l’enfant est né, la formation d’apara ojas dans son corps dépend de Tejas. Ce feu se manifeste déjà sous forme de jatharagni (le feu digestif) dans notre organisme. Mais il existe également 12 d’autres formes de ce Tejas qui sont responsable pour la digestion et l’assimilation des nutriments dans les divers tissus de notre corps ainsi que de l’assimilation de nos émotions et nos perceptions.
Prāna est l’énergie subtile de vāta dosha et le principe de la vie ainsi que de tout mouvement que ce soit physique ou mental. Quand nous respirons, quand nous réfléchissons ou même quand nous levons un doigt ; ça se fait grâce à notre prāna. Il existe 30 différents prāna dans notre corps, dont les 5 principaux sont expliqués dans cet article sur les vāyū.
L’interdépendance de Ojas, Tejas et Prāna.
Une flamme (tejas) a besoin du fuel (ojas) et d’oxygène (prāna) afin de pouvoir rester allumer. Si un de ces deux éléments manque, la flamme ne sera pas suffisamment forte. En ce qui concerne notre corps, le manque de tejas (ou un dysfonctionnement de tejas) peut engendrer d’autres problématiques. Si prāna est trop important et en dehors de notre contrôle, par exemple, le feu digestif ne restera pas concentré uniquement dans notre système digestif et aura du mal à assimiler tout ce que le prāna amène à notre organisme. Si ojas est manquant, ce même tejas va commencer à utiliser nos dhātu (les tissus qui forment notre corps) comme fuel.
Ojas lui dépend directement de tejas. Sans un tejas qui fonctionne bien, il n’y a pas d’ojas. De même, si prāna n’amène pas les nutriments dans le corps ou si le manque de contrôle de prāna incite notre tejas à produire les toxines (ama) ; la quantité suffisante d’ojas ne sera jamais produite dans le corps.
Prāna bouge dans notre corps sur un système de nādī (canaux énergétiques) mais c’est ojas qui permet à ces nādī à fonctionner comme il faut. De même, sans un tejas suffisamment important, les perceptions et les réflexions de prāna nuisent à notre corps au lieu de lui faire du bien.
Comment accroître ces 3 énergies.
J’expliquerai plus en détails comment on accroît ces 3 énergies durant les prochains articles, mais déjà pour vous donner une idée de base :
Ojas : La nourriture d’une bonne qualité et dans les quantités suffisantes, l’exercice physique et les yoga asana, les émotions positives, la retenue sexuelle et sensorielle, les voies de la Foi telle que Bhakti Yoga aide à accroître et maintenir les niveaux d’ojas dans le corps.
Tejas : Avoir la quantité suffisante d’ojas, les exercices de concentration, les mantras, les tapas (discipline, persévérance, les austérités telles que les jeûnes) et les voies de connaissances (Jnana Yoga) aide à accroître les niveaux de tejas dans le corps.
Prāna : Méditation, les pranayama aide à accroître le niveau de prāna et la discipline de vie ainsi que la quantité suffisante de tejas dans le corps aide à amener ce prāna sous notre contrôle.
Le détox d’Anna alors ?
Déjà, sauf dans les cas extrêmement rares, ni le yoga ni l’ayurvéda conseillent les thérapies de choc. Ces deux sciences visent un changement graduel car tout changement drastique crée la violence dans le corps. De même, ils ne visent pas simplement un changement dans la nutrition, mais un changement global afin de pouvoir travailler les trois énergies de façon équilibrée.
De plus, très souvent ces détox et ces régimes de chocs contiennent les jeûnes, l’alimentation basée autour des crudités ou des jus de fruits et légumes. Sur le moment ça aide à accroître tejas et on a l’impression d’avoir une grande clarté (du fait que ce tejas est en train de mieux assimiler ce que nos sens perçoivent). Mais non seulement ce tejas n’est pas profond, il est aussi en train de brûler nos dhātu, ce qui créera des problèmes plus graves dans la durée.
« L’alchimie » yogique.
Si je mets le mot « alchimie » entre guillemets, ce n’est pas sans raison. Il ne s’agit pas véritablement d’alchimie (qui est un processus externe) mais plutôt de notre biochimie.
Que notre recherche soit de bien-être physique et mental ou encore nous commençons une quête spirituelle ; l’enjeu dans yoga c’est de travailler ces trois énergies subtiles d’une façon profonde et équilibrée. Chaque asana, chaque niyama (observance) et chaque yama (éthique) ; chaque pranayama et chaque méditation vise cet équilibre et l’harmonie. Cette biochimie consiste à assurer que nous avons toujours les quantités suffisantes d’ojas pour nourrir le tejas, que le tejas est de plus en plus fort afin de pouvoir assimiler tout ce que le prāna nous amènera ; et ensuite accroître le prāna dans la recherche d’éveil.
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